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  • Entretien avec Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT.

    Pensiez-vous que la loi El Khomri allait déclencher un tel bazar ?

    Il y a un double problème. Le premier, c'est la façon dont le gouvernement l'a lancée, avec un déficit de concertation et un texte inacceptable. La CFDT a combattu la première version et obtenu une profonde réécriture, avec des ambitions qui sont les droits attachés à la personne avec le Compte personnel d'activités (CPA) et davantage de poids à la négociation d'entreprises.

    Le gouvernement n'est pas le seul responsable de la situation ?

    Non. On assiste en effet à une radicalité de certains syndicats. Ils surfent sur un mal-être des salariés sur fond de chômage record. Du coup, absents dans la proposition et la discussion en amont, ils utilisent cette loi El Khomri pour exister.

    Vous dites stop au jusqu'au-boutisme...

    Je dis que chacun doit assumer sa part de responsabilité pour deux raisons. Un, dans ce texte, il y a la reconnaissance du fait syndical dans l'entreprise, l'entreprise étant un espace pertinent pour traiter de questions concrètes dans la vie des travailleurs. Deux, je dis stop à l'hystérisation et l'instrumentalisation de la vie sociale pour des motifs non liés au contenu de la loi.

    Vous en voulez à la CGT ?

    Je ne comprends pas son attitude. Elle est en difficulté et essaie de construire sa légitimité sur un combat. Quant au gouvernement, il est incapable de donner du sens à la loi.

    Qu'avez-vous envie de dire à Philippe Martinez ?

    Pourquoi as-tu peur de la négociation dans l'entreprise qui est cadrée dans la loi ? S'il n'y a pas d'accord majoritaire ou de négociation, c'est le code du travail qui s'appliquera. Je m'étonne que la CGT, soucieuse de citoyenneté dans l'entreprise, ne veuille pas reconnaître la pertinence de tout cela. C'est contre-productif pour l'intérêt des travailleurs. Il faut maintenir l'article 2. L'essence même du syndicalisme, c'est l'entreprise. Le lieu de vote, c'est l'entreprise. La CFDT défend la négociation d'entreprise. Car là, des garde-fous existent : l'accord majoritaire négocié par des syndicats et, sans accord, l'application du droit actuel...

    Manifestation rime parfois avec intimidation.

    Faire grève et manifester est un droit. Mais je condamne toutes dérives comme la pression faite par la CGT sur la presse. On a aussi des militants qui sont violemment interpellés, verbalement ou physiquement...

    Tout le syndicalisme en pâtit ?

    Tout cela renvoie une image qui n'est pas celle du syndicalisme dans les entreprises. Tous les jours, la CFDT défend les salariés et fait progresser leur situation. La CFDT progresse aux élections. Les travailleurs ne s'y trompent pas. Le rôle d'un responsable syndical national, c'est d'entendre les préoccupations et de faire des propositions pour changer la vie des salariés.

    Comment faire pour sortir de l'impasse ?

    D'abord parler du contenu de la loi. Et des avancées qu'elle contient pour les salariés. Dans le texte, il n'y a rien qui justifie ces tensions.

    Les Français sont exaspérés par les blocages...

    La démocratie, c'est que chacun puisse s'exprimer. Je crois qu'aujourd'hui, le mouvement ultra-contestataire de la CGT n'a pas d'utilité pour les salariés.

    Le dialogue social à la française a-t-il atteint ses limites ?

    Ce sont les acteurs qui atteignent leurs limites. Je pense aussi au patronat. Comme FO ou la CGT, une partie du Medef et de la CGPME rejette une loi de nature à trouver le bon compromis dans l'entreprise. Finalement, c'est peut-être cela le problème des acteurs sociaux dans notre pays : ils préfèrent l'affrontement au dialogue...