• - Qui peut avoir peur de consulter les salariés, pas la CFDT

    INTERVIEW DE LAURENT BERGER- Le secrétaire général de la CFDT est favorable, sous conditions, à une validation des accords d’entreprise par référendum. Il dénonce les blocages du Medef sur le dialogue social. Il exclut toute dégressivité des allocations chômage, dénonçant une mesure « économiquement inutile et socialement injuste ».

     

    La CFDT va-t-elle signer la « position commune » sur le compte personnel d’activité ?

    Le bureau national se positionnera en début de semaine prochaine. Nous avions quatre objectifs : garantir l’universalité des droits, intégrer tous les comptes existant - dont le compte pénibilité -, avoir une portabilité des congés et prévoir un accompagnement car un droit nouveau sans accompagnement n’a pas beaucoup d’intérêt. La « position commune » répond à ces enjeux. On aurait pu souhaiter un texte plus ambitieux mais c’est un point d’appui. Et rien n’empêche le gouvernement de l’enrichir en plus de concrétiser les engagements qu’il a pris d’abonder le CPA pour les jeunes sortis sans qualification du système scolaire et de traiter de la conciliation entre vie privée et vie professionnelle. Se pose aussi la question du financement du compte pour les indépendants et pour les fonctionnaires pour qui il n’est pas question de prévoir un système à part.

     

    Comment jugez-vous l’état du dialogue social ?

    Force est de constater que les acteurs - syndicats, patronat, gouvernement - ne jouent pas tous le jeu. Une partie du Medef est violemment hostile au dialogue social et cela empêche d’avancer. Il faut remonter loin en arrière pour retrouver un tel climat au sein du patronat ! Les progressistes en son sein doivent mener un combat pour affirmer la nécessité d’un vrai dialogue économique et social avec les syndicats. Côté syndicats, aucun acteur majeur autre que la CFDT et la CFTC ne considère que le dialogue social est la voie pour avancer. Je constate qu’en Allemagne, patronat et syndicats ont une constance sur le sujet. Chez nous, ce n’est pas le cas. Quant au gouvernement, il n’affiche pas une volonté pleine et entière de dialogue social non plus. J’en veux pour preuve sa manière de pointer le sujet de la dégressivité des allocations chômage alors même que la négociation débute et que les partenaires sociaux n’en veulent pas... Le gouvernement aurait mieux à faire que de se mobiliser sur des sujets stériles comme la déchéance de nationalité...

     

    Le patronat affirme que c’est lui qui est réaliste…

    Il fait croire que les difficultés économiques sont liées à la protection des salariés et au niveau d’indemnisation des chômeurs. Conclusion : il faudrait moins de contraintes, moins de coûts, moins de règles. C’est un discours simpliste. Baisser les droits des travailleurs n’offre pas une vision, c’est une option de courte vue. Le Medef n’essaie pas de comprendre l’économie de demain. Il n’a pas de pensée sur l’entreprise, ne réfléchit pas à sa gouvernance.

     

    Vous semblez bien pessimiste sur vos interlocuteurs. Pourquoi vous accrocher alors au dialogue social?

    D’abord la CFDT n’est pas seule. Nous nous retrouvons avec la CFTC, l’Unsa et parfois, la CGC. Ensuite, il n’est pas question pour nous de changer notre fusil d’épaule car la négociation produit des résultats positifs pour les salariés. Mais pour cela, les syndicats doivent regarder la réalité en face, s’engager dans les négociations et être en proximité avec les salariés, ce que fait la CFDT.

    Notre problème n’est pas de changer notre conception du syndicalisme, mais de faire savoir qu’il existe et produit des résultats. On a créé depuis 2008 de nouveaux dispositifs assurant à la fois la sécurité pour les salariés et la souplesse pour les entreprises, comme la rupture conventionnelle du CDI ou la négociation des plans sociaux. Cela marche.

    Maintenant il faut absolument parler stratégie, instaurer un véritable dialogue économique et social dans les entreprises. Celles qui jouent ce jeu sont plus performantes mais le patronat n’a pas le courage de partager un peu son pouvoir.

     

    La lutte contre le chômage étant une échec collectif, quelle est la part de responsabilité des syndicats ?

    Nous pouvons sans doute faire plus pour l’accès à l’emploi de ceux qui en sont exclus, en particulier les jeunes. Par exemple, sur l’apprentissage, nous pouvons davantage revendiquer d’embauches dans les entreprises. Mais la CFDT ne peut pas être accusée d’avoir entretenu la frontière entre insiders et outsiders, au contraire.

     

    Vous êtes très critique sur le pacte de responsabilité. Ne regrettez-vous pas de l’avoir soutenu ?

    Le pacte devait servir l’investissement économique et social mais il souffre d’un problème de loyauté dans son application. Certaines branches patronales ont fait preuve d’un cynisme total. Nous avons demandé qu’en cas de non respect du pacte, les aides versées soient revues. Cela n’a pas été fait. C’est pourtant indispensable. Le gouvernement a encore la possibilité de dire qui a joué le jeu, qui a investi, qui a embauché des apprentis et d’en tirer les conséquences sur le prochain versement des aides en 2017.

     

    La ministre du Travail veut faire valider les accords minoritaires par un référendum auprès des salariés. Qu'en pensez-vous  ?

    La CFDT revendique l’accord majoritaire. Ce n’est donc pas notre idée mais nous sommes favorables à la consultation des salariés. Derrière cette idée, il y a la prise en compte d’une évolution fondamentale de la société. Nous vivons une crise de la représentativité et une crise de la démocratie qui imposent de changer nos modes de pensée.

    Qui peut avoir peur de consulter les salariés ? Pas nous. C’est même une démarche utile pour re-légitimer les organisations syndicales. Nous devons prendre des risques. Lorsqu’un accord est validé par des syndicats représentant 30 % des salariés, je ne suis pas hostile à ce que l’on consulte les salariés au contraire. Mais cette proposition n’est acceptable qu’à la condition que la consultation ne soit pas une mesure au service des patrons. Il faut qu’elle ne puisse intervenir qu’à l’issue de la négociation et à la seule initiative des syndicats signataires.

     

    L’échec de certaines négociations sur le travail du dimanche (grands magasins, Fnac) montre-t-il les limites du seul dialogue social ?

    Les négociations vont se faire magasin par magasin. A la Fnac, nous avons signé l’accord mais les syndicats majoritaires ont fait valoir leur droit d’opposition. Je vous donne rendez-vous aux prochaines élections professionnelles. Nous verrons ce qu’en ont pensé les salariés...

     

    La négociation sur l’avenir de l’assurance-chômage va bientôt s’ouvrir. Le déficit financier impose-t-il des économies ?

    On peut aussi rentrer dans la discussion en s’interrogeant sur les ressources supplémentaires que l’on pourrait dégager. Nous réfutons une approche qui serait purement économique et une approche qui serait punitive. On n’arrive pas à résorber le chômage et il faudrait le faire payer aux chômeurs. Notre priorité est de conforter l’indemnisation et la simplification des règles engagée depuis 2009 et de renforcer l’accompagnement et la formation.

    Il faut aussi s’interroger sur le comportement des employeurs, notamment sur l’utilisation des contrats courts. Dans le dernier accord nous avons mis un tout petit pied dans la porte, en taxant plus ces contrats. Il faut aller bien plus loin. Peut-être faudrait-il inciter les entreprises à garder plus longtemps les salariés en instaurant une cotisation dégressive selon la durée des contrats.

     

    La dégressivité des allocations chômage est-elle envisageable à certaines conditions ?

    C’est totalement exclu. C’est économiquement inutile et socialement injuste Il y a un côté quasi-obsessionnel du gouvernement sur le sujet. En revanche, un sujet comme la refonte de la filière des seniors n’est pas tabou.

     

    La dégressivité avait été décidée en 1992 par le patronat et la CFDT. Vous regrettez ?

    La CFDT a testé plein de choses sur l’assurance-chômage car elle a en permanence assumé sa part de responsabilité. C’est aussi elle qui a signé les annexes 8 et 10 sur les intermittents que d’autres aujourd’hui défendent sans les avoir paraphées. Un échec des négociations serait un très mauvais signal. Chacun doit assumer sa part de risque pour s’attaquer au chômage. Parmi les sujets, nous devons traiter avec l’Etat les problèmes de rupture entre la fin des droits Unedic et le début de ceux dans le cadre de la solidarité nationale.

    L’idée de réécrire le Code du travail a fait son chemin. Qu’en pensez-vous ?

    Je suis en désaccord avec l’idée que le Code du travail serait responsable du chômage et que le modifier serait la solution. Mais je suis d’accord pour le faire évoluer si on détermine les lieux où créer de la norme afin d’allier protection et souplesse. Il faut laisser plus d’espace à la négociation collective et reconnaître le fait syndical et l’accord majoritaire dans l’entreprise. Nous ne sommes pas de ceux qui rêvent d’un Code du travail à la Suisse faisant la part belle au gré à gré. Il faut un système articulant un ordre social national et des négociations de branche et d’entreprise.

     

    Qu’attendez-vous du rendez-vous salarial dans la fonction publique ?

    Le gouvernement fera une profonde erreur en ne dégelant pas le point d’indice. La CFDT se mobiliserait alors. Le dégel est une mesure de justice et une question de reconnaissance pour les fonctionnaires. Et attention, se contenter de donner 0,1 ou 0,2 % d’augmentation serait une provocation.

     

    Que pensez-vous de la condamnation de salariés de Goodyear à 9 mois de prison ferme pour avoir séquestré leurs patrons ?

    Elle est inacceptable. Tout le monde sait que nous ne partageons pas la stratégie qui a été menée par la CGT à Goodyear. Que ce soit là ou à Air France, ma parole n’a jamais tremblé pour condamner ces violences. Mais une peine de prison ferme est complètement inappropriée et je n’ai aucun état d’âme à le dire.

     

    Vous sentez-vous impliqué dans la lutte contre la radicalisation religieuse ?

    Il faut distinguer deux choses. Il y a le fait religieux, qui peut trouver une réponse dans la loi et le dialogue. C’est le sens du guide que nous avons édité pour nos militants. Et il y a la radicalisation et le prosélitisme. Le refus de serrer la main d’une femme, par exemple, est un comportement discriminant qui doit être sanctionné. Je me déplace toutes les semaines dans des entreprises et on ne peut pas dire que ce soit très répandu. Plus nous serons nombreux à mener le débat sur la laïcité sur des bases constructives, plus ce type de comportement reculera. Plus généralement, je suis préoccupé par le climat qui règne en France. Il manque un cap et un projet positif pour « faire société ».

     

    Une ancienne de la CFDT vient de rejoindre le cabinet de Myriam El Khomri. Votre syndicat a une relation privilégiée avec le gouvernement…

    Nous ne plaçons personne. Anousheh Kharvar a passé un concours difficile pour rejoindre l’Inspection générale des affaires sociales. Elle n’a rien demandé à la CFDT quand elle a quitté ses responsabilités. Personne ne peut prétendre avoir le droit de placer telle ou telle personne. Le gouvernement est allé chercher une compétence. Cela ne me réjouit ni ne me nuit fondamentalement.

     

    Les taxis et les VTC sont en plein conflit. Qui a raison ?

    Le nouveau modèle d’économie numérique crée des emplois, et des emplois occupés par une population que le marché du travail a pour certains laissé de côté. La question n’est pas qu’il soit plus vertueux que l’ancien, la question est de réguler et d’organiser la transition pour ne pas sacrifier ceux qui, comme les taxis, voient émerger une nouvelle forme de concurrence. Je ne serai jamais de ceux qui disent qu’il faut défendre mordicus le monde d’hier car rien ne doit bouger. Mais j’ai le souci de préserver l’équilibre économique et social. Ce conflit est typique d’un défaut d’anticipation. Tout le monde l’avait vu venir mais on a laissé pourrir la situation.

     

    Faut-il imposer des heures de bénévolat aux bénéficiaires du RSA ?

    Imposer, non. Que ceux qui le souhaitent faire du bénévolat puissent le faire, c’est bien. Mais être solidaire, ce n’est pas imposer sept heures de travail gratuit par semaine, dont il faudrait me dire de surcroît où les trouver ! Cette idée lancée par Laurent Wauquiez est une stigmatisation des exclus du monde du travail à laquelle je ne peux adhérer

    LEÏLA DE COMARMOND / JOURNALISTEDEREK PERROTTE / JOURNALISTE

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