• Espace militant : analyse de l'ordonnance N°1 sur le renforcement de la négociation collective




  • Le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, déçu par les ordonnances réformant le droit du travail, a déclaré samedi qu'il entendait bien garder sa liberté de ton et d'action, quelle que soit la détermination affichée par Emmanuel Macron.

    "Je ne suis ni extrême, ni feignant, ni cynique", a déclaré le numéro un du premier syndicat français, répondant ainsi à une déclaration critiquée du chef de l'Etat.

    Dans un discours devant la communauté française d'Athènes, Emmanuel Macron a déclaré vendredi qu'il entendait réformer la France avec une "détermination absolue".

    "Je ne céderai rien, ni aux fainéants, ni aux cyniques, ni aux extrêmes", a ajouté le chef de l'Etat, ce qui a déclenché de vives réactions, notamment de la part du chef de file de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon.

    Face à ce début de polémique, l'entourage du chef de l'Etat a expliqué qu'il visait "tous les conservatismes qui ont empêché la France de se réformer".

    Laurent Berger a pour sa part répondu que la CFDT, tout en refusant de se joindre à la journée de mobilisation organisée mardi prochain par la CGT, garderait pour sa "liberté de ton" et "sa liberté d'action".

    "Nous ne nous ferons instrumentaliser ni par ceux qui voudraient faire de nous des alliés faciles ni par ceux qui voudraient instrumentaliser le monde du travail à des fins politiques", a ajouté le dirigeant de la CFDT.

    Il a précisé que les numéros un des principaux syndicats français s'étaient vus cette semaine pour discuter de la situation actuelle mais aussi des réformes à venir, dont celles de la formation professionnelle et de l'assurance-chômage.

    "Ça va être un moment difficile, je le sais mais c'est le moment que le la CFDT va choisir pour se retourner encore plus vers les salariés", a-t-il poursuivi. "Il faut redonner de l'espace au dialogue social et à la représentation syndicale et c'est malheureusement ce qui n'a pas été fait."

    Pour Laurent Berger, le syndicalisme ne peut pas se contenter d'être une force de contestation ou de témoignage.

    "Ce que je souhaite, c'est que demain, partout dans les entreprises, on développe encore plus du syndicalisme et du dialogue social et c'est ce que nous allons faire", a-t-il conclu. "C'est plus difficile à faire qu'une manifestation un peu stérile mais c'est beaucoup plus porteur de résultats, demain, pour les salariés."


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  • Non, un employeur ne dispose pas des pleins pouvoirs en termes de surveillance de ses salariés. C’est ce qu’il ressort de l’arrêt très attendu rendu par la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui considère que la surveillance des courriels d’un salarié peut constituer une violation de son droit au respect de la vie privée et de la correspondance protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La CEDH fixe ainsi les critères à prendre en compte pour apprécier l’opportunité d’un tel dispositif. CEDH, 05.09.17, n°61496/08, Aff. Barbulescu/Roumanie. 

       
    • Les faits

    Employé depuis 2004 par une entreprise privée roumaine en qualité d’ingénieur commercial, un salarié ouvre, sur invitation de son employeur, un compte Yahoo Messenger en vue de répondre aux demandes des clients (donc à des fins professionnelles).
    Outre le règlement intérieur de l’entreprise qui interdit l’usage par les salariés des ordinateurs, photocopieurs, téléphones, etc  à des fins personnelles, la direction distribue, le 3 juillet 2007, à l’ensemble des employés une note d’information rappelant cette interdiction, la nécessité pour elle de vérifier et surveiller le travail des employés et faisant allusion au licenciement disciplinaire de l’un d’entre eux pour avoir fait une utilisation personnelle d’internet, du téléphone et du photocopieur.
    Et voilà que quelques jours plus tard (le 13 juillet), l’ingénieur commercial est à son tour convoqué par son employeur souhaitant avoir des explications quant aux communications personnelles qu’il aurait eues sur Yahoo Messenger. Niant les faits, l’employeur met sous le nez du salarié 45 pages de communications privées (et intimes) que celui-ci avait eues avec son frère et sa fiancée entre le 5 et le 12 juillet 2007. Sur ce, l’employeur le licencie pour faute, pour violation du règlement intérieur.

    • La procédure

    Le salarié conteste son licenciement : en consultant ses communications, son employeur a porté atteinte à son droit à la correspondance en violation de la Constitution et du Code pénal. Débouté par les juridictions roumaines , le salarié saisit alors la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) afin de faire valoir une violation de sa vie privée et du secret de la correspondance protégés par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
    Dans un premier arrêt de chambre rendu en 2016 (1) la CEDH refuse d’admettre la violation des dispositions de ladite convention. Elle considère au contraire que la surveillance des communications par l’employeur avait été raisonnable dans le contexte d’une procédure disciplinaire.
    Le salarié roumain décide donc de faire appel devant la Grande Chambre, instance suprême de la CEDH.  A noter que gouvernement français et la confédération européenne des syndicats (CES) ont été autorisés à intervenir dans la procédure en tant que tiers intervenants.

     L’employeur pouvait-il mettre en place une telle surveillance des courriels de ses salariés et s'en servir dans le cadre d'un licenciement pour faute? Les juridictions roumaines avaient-elles suffisamment fait respecter l’obligation de protection de la vie privée ?

    • La CEDH sanctionne la surveillance des courriels sur une messagerie professionnelle dans le cadre d’une procédure disciplinaire

    Cette fois-ci, l’action du salarié n’est pas restée vaine puisque les juges de la Grande Chambre ont tranché en sa faveur: «  les autorités nationales n’ont pas protégé de manière adéquate le droit du requérant au respect de sa vie privée et de sa correspondance et que, dès lors, elles n’ont pas ménagé un juste équilibre entre les intérêts en jeu ». Il y a donc bien eu violation de l’article 8 de la Convention.

    Article 8 de la CEDH : Droit au respect de la vie privée et familiale
    1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
    2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

    • Les critères retenus par la CEDH

    Pour se déterminer ainsi, la Cour met en avant divers points que les juridictions roumaines auraient du vérifier pour apprécier si le dispositif de surveillance mis en place par l'employeur était proportionné au but poursuivi et si l’employé concerné était protégé contre l’arbitraire :

    -          L’employé a-t il bien été informé et à l’avance de la possibilité que son employeur puisse prendre et mettre en place des mesures de surveillance de sa correspondance et autres communications ainsi que la nature de ces mesures ? en l’espèce, il n’est pas certain que le salarié ait pris connaissance de la note d’information avant la mise en place de la surveillance. Il n’était pas plus informé de la possibilité pour l’employeur d’accéder non seulement au flux des courriels mais qui plus est à leur contenu !

    -          L’étendue de la surveillance effectuée par l’employeur et le degré d’intrusion dans la vie privée de l’employé. Toutes les communications ont elles été surveillées ou bien seulement une partie d’entre elles ? la surveillance a-t-elle été limitée dans le temps ?

    -          Les raisons légitimes justifiant la surveillance des communications et l’accès à leur contenu même (qui constitue un dispositif beaucoup plus intrusif).

    -          N’y avait-il pas des méthodes moins intrusives que l’accès direct au contenu des communications de l’employé ?

    -          Les conséquences de la surveillance pour l’employé concerné ainsi que l’utilisation faite par l’employeur des résultats de celle-ci. Dans la mesure où en l’espèce le salarié a fait l’objet de la sanction disciplinaire la plus sévère (licenciement pour faute), les juridictions auraient dû examiner la gravité de ces conséquences.

    -          Le salarié a-t-il bénéficié de garanties adéquates au regard du caractère intrusif des mesures de surveillance mises en place ? ces garanties auraient du permettre d’empêcher que l’employeur puisse accéder au contenu même des communications sans avoir préalablement averti le salarié d’une telle éventualité. 

     En l'espèce, parce qu'elle considère que les juridictions nationales n'ont pas procédé à l'ensemble de ces recherches, la Granche Chambre en a conclu qu'elles n'avaient pas protégé de manière adéquate le droit du salarié au respect de sa vie privée et de sa correspondance. Elles n'avaient ainsi pas ménagé un juste équilibre entre les intérêts en jeu. Il y avait bien violation de l'article 8 de la Convention. 

    • La portée de l’arrêt

    Cet arrêt constitue un véritable revirement de la position de la CEDH. Pour autant, et la Cour  le souligne, il ne signifie pas que les employeurs ne peuvent plus surveiller les communications des employés lorsqu'ils utilisent les messageries professionnelles qui sont mises à leur disposition, ni qu'il leur sera désormais  impossible de licencier un salarié pour avoir utiliser sa messagerie professionnelle à des fins personnelles sur son lieu de travail. La Cour rappelle simplement que la mise en place de tels dispositifs de surveillance doit être accompagnée de "garanties adéquates et suffisantes contre les abus".

    Ensuite, cet arrêt a vocation à faire jurisprudence pour les 47 membres du Conseil de l’Europe qui, le cas échéant, auront tout intérêt à se mettre en conformité avec celui-ci.

    Cependant, la solution dégagée ici ne bouleversera pas la pratique de notre droit français qui semble aujourd'hui relativement conforme à ces exigences. Pour rappel, la CNIL impose déjà des règles protectrices en matière de surveillance des salariés en imposant notamment l'information préalable des salariés quant aux dispositifs mis en place et des modalités de contrôle de l'utilisation d'internet. 
    Par ailleurs, la chambre sociale de la Cour de cassation a depuis longtemps consacré le droit au respect de la vie privée pour le salarié y compris au temps et lieu de travail. 


  • Par Service juridique - CFDT

    Cette mesure phare du candidat Macron est logée dans l’article 2 de l’ordonnance consacrée à la sécurisation des relations de travail. Le barème impératif aux prud’hommes en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse a été dévoilé, ainsi que ses planchers et ses plafonds. Consultés dans le cadre du Conseil supérieur de la prud’homie du 5 septembre dernier, la CFDT a rappelé sa farouche opposition. Elle a également pointé et déploré les autres mesures limitant l’indemnisation des salariés aux prud’hommes. Voici la synthèse de l’intervention de la CFDT sur le sujet de l’indemnisation.  
       
    •   Le plafonnement des dommages-intérêts aux prud’hommes

    Le barème impératif en cas de licenciement injustifié, la CFDT y est clairement opposée.

    Nous l’étions en 2015, au moment de la loi Macron.

    Nous l’étions, en 2016, au moment de la loi El Khomri.

    Nous sommes encore et toujours contre. Pour une raison simple : cela porte atteinte au principe de réparation intégrale du préjudice.

    En pratique, ce système permet d’annihiler la garantie des 6 mois de salaire minimum qui, depuis la loi du 13 juillet 1973, était octroyée au salarié licencié sans cause réelle et sérieuse (dès lors qu’il travaillait depuis au moins 2 ans dans une entreprise d’au moins 11 salariés).

    Désormais les six mois de salaire ne sont plus un minimum mais un maximum applicable aux salariés ayant au moins 5 ans d’ancienneté.

    Le vrai problème, c’est que, comme seul et unique critère susceptible de faire évoluer le niveau d’indemnisation, il n’est été retenue que l’ancienneté !

    Faut-il ici rappeler que le barème indicatif (version loi Macron) que ce projet d’ordonnance balaie était lui-même multicritère ? (Choix qui avait alors été opéré, sous notre impulsion).

    Au cours des concertations, nous avions (entre autres critères) proposé de pénaliser davantage les employeurs qui n’auraient pas respecté leur obligation de formation vis-à-vis de leur salarié injustement licencié.

    Nous avons réitéré cette demande. Si l’on sécurise les ruptures au profit des employeurs, la moindre des choses serait que l’on garantisse aux salaries leur droit à la formation ! Ce serait finalement là une question de cohérence par rapport à notre objectif de sécurisation des parcours professionnels des salariés.

    Soulignons également que, pour les salariés qui ont peu d’ancienneté et des petits salaires, les gains espérés seront moins élevés que les coûts induits par la démarche judiciaire.  Ce qui remet en cause la mission même des conseillers prud’hommes.

    Nous sommes par contre satisfaits de constater que la loi exclut de l’application du barème les cas de licenciements nuls. Ce qui couvrira, non seulement la protection contre les harcèlements (moral et sexuel), celle contre les discriminations, celle des actions en justice engagées par le salarié, celle du statut protecteur des salariés mais aussi, plus globalement, celle des « libertés fondamentales »

    Par ailleurs, nous avons pulsé une revalorisation des indemnités de licenciement. Nous l’avons obtenue (promise par voie réglementaire) et nous ne pouvons pas ne pas apprécier cette revalorisation qui  aura un impact pour une grande majorité de salariés licenciés ou signataires d’une rupture conventionnelle. Nous sommes toutefois déçus du niveau concédé : 25% alors que nous en réclamions le doublement.

    Au demeurant, il ne faudrait pas que l’on rogne sur la majoration des indemnités au-delà des 10 ans d’ancienneté telle qu’elle existe aujourd’hui dans notre droit.

    En outre, le passage de l’ancienneté, pour pouvoir en bénéficier, de un an à huit mois est assez difficile à justifier. Pourquoi ne pas avoir rendu accessible ce droit aux salariés dès la fin de leur période d’essai ? (article 42)

    • La possibilité, pour les juges, de déduire les indemnités de licenciement du montant total des dommages et intérêts (article  2)

    L’ordonnance dispose que « Pour déterminer le montant de l’indemnité, le juge peut tenir compte, le cas échéant, des indemnités versées à l’occasion de la rupture ». C’est là une évolution radicale par rapport au droit actuel puisqu’à l’inverse de ce qu’envisage le projet d’ordonnance, le Code du travail prévoit actuellement que l’indemnisation « est due sans préjudice, le cas échéant, de l’indemnité de licenciement ».

    Cette disposition est regrettable puisqu’elle permet de déduire d’une indemnisation destinée à réparer un préjudice (dommages et intérêt en cas de licenciement abusif) le montant d’une indemnité due du seul fait de la rupture (indemnité de licenciement mais aussi -notamment- indemnités de rupture conventionnelle).

    Techniquement parlant, c’est un mélange des genres injuste et incohérent.

    Le fait que cette déduction de l’indemnité de licenciement de l’indemnisation due en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ne soit pas automatique mais laissée à la discrétion des juges ne rend pas la mesure moins dangereuse. Aux prud’hommes, elle sera clairement de nature à générer une explosion du départage (et conséquemment des délais).

    • Réduction d’un certain nombre d’indemnités

    Ainsi en va-t-il, notamment, de la nullité du licenciement économique dont la sanction passe de 12 à 6  mois et de celle de la mise à mal de la priorité de réembauchage dont la sanction passe de 2 mois à 1 mois.

    Cette baisse indemnitaire, qui touche à des atteintes manifestes aux droits sanctionnées par des nullités de licenciement, est particulièrement choquante.



  • Publié le 31/08/2017 à 14H15
    Par Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe de la CFDT et Marylise Léon, secrétaire nationale de la CFDT
    Le gouvernement a fait le choix de mener sa première réforme sociale sur le code du travail plutôt que de faire le bilan des réformes précédentes comme le demandait la CFDT.

    Les multiples consultations de ces derniers mois ont permis aux organisations de présenter leur vision et leurs propositions. La CFDT y a joué pleinement son rôle d’organisation syndicale.

    La CFDT a contribué à limiter au maximum les éléments de dérégulation et de remise en cause des droits des salariés, notamment :

    • La remise en cause des régimes de prévoyance de branche,
    • La libéralisation du contrat de chantier, 
    • Le relèvement du seuil de déclenchement des plans sociaux,
    • Le référendum à la libre initiative de l’employeur.

    La CFDT a aussi obtenu quelques avancées, comme l’augmentation des indemnités légales de licenciement de 25% ou la négociation de branche sur la qualité de l’emploi pour encadrer le recours aux contrats courts.

    La CFDT a toujours défendu l’idée que le dialogue social de qualité améliorait la compétitivité des entreprises en sécurisant les salariés.  

    Pour la CFDT, cette réforme aurait pu faire évoluer la culture du dialogue social et être une étape nouvelle de la sécurisation des parcours. Elle aurait dû faire le pari de la confiance entre ses acteurs, employeurs et salariés, quitte à bousculer les stéréotypes patronaux.

    Le gouvernement n’a pas fait ce choix. 

    La CFDT demandait les moyens d’un dialogue social constructif, efficace, à armes égales. Le gouvernement n’a pas entendu sa demande et a privilégié la flexibilité au détriment de la justice sociale.

    A l’inverse, il a légitimé les attentes les plus conservatrices d’une partie du patronat qui ne comprend pas que le dialogue social est un atout pour l’entreprise : 

    • Le pouvoir unilatéral des employeurs est renforcé dans les plus petites entreprises. 6 millions de salariés des petites entreprises ne pourront pas obtenir de contreparties lorsqu’un employeur voudra déroger au code du travail. 
    • La présence de représentants des salariés dans les Conseils d’administration ne sera pas généralisée à toutes les grandes entreprises.

    L’accompagnement des représentants du personnel par des experts sera limité et contraint.

    Cette réforme aurait pu être l’occasion de moderniser le fonctionnement des entreprises par un meilleur partage de l’information et de la connaissance économique avec les salariés et leurs représentants. C’est une occasion manquée d’amener le patronat à modifier son approche et ses méthodes. 

    C’est dans les entreprises, quelle que soit leur taille, que la CFDT continuera d’être aux côtés des salariés pour agir avec eux et construire les protections et les droits dont ils ont besoin.


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