• Les partenaires sociaux étaient reçus pour un dernier round de concertation au ministère du Travail. Le flou perdure sur  plusieurs points déterminants des futures ordonnances, qui doivent être dévoilées le 31 août. 

    Le 31 août, le Premier ministre Edouard Philippe et la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, dévoileront le contenu des ordonnances sur le code du travail. Soit moins d’un mois après que le Parlement a définitivement adopté, le 2 août, le projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social. Mais a priori avant que le Conseil constitutionnel, saisi le 9 août, ne se soit prononcé sur ce texte qui cadre les marges de manœuvre du gouvernement.

    De nombreux points restent à trancher

    Le gouvernement a tenu à préserver son calendrier initial et à assurer lui-même la communication sur les ordonnances qui doivent être envoyées cette semaine-là au Conseil d’État. Elles seront ensuite soumises à différentes instances consultatives (Commission nationale de la négociation collective, Conseil supérieur de l’égalité professionnelle, Conseil supérieur de la prud’homie, Conseil d’orientation des conditions de travail et Conseil national de l’emploi et de la formation professionnelle) début septembre. L’adoption en Conseil des ministres est prévue le 20 septembre ; l’entrée en vigueur au lendemain de la publication au Journal officiel, dans la foulée.

    En attendant, un dernier round de concertation avec les partenaires sociaux représentatifs se déroulait du 22 au 25 août avec le directeur de cabinet de la ministre du Travail, Antoine Foucher. Objectif affiché : présenter les grands arbitrages décidés au cours de l’été et prendre la température sur ceux qui restent en suspens. La CFDT était reçue ce 23 août. Elle en est ressortie avec une vue très superficielle et parcellaire de ce que le gouvernement prépare qui l’incite à la vigilance. « Nous n’avons pas eu tous les textes et il reste de gros détails techniques et de nombreux points à trancher », a déclaré la secrétaire générale adjointe de la CFDT, Véronique Descacq, à la presse à l’issue de la réunion.

    Un gros point d’inquiétude sur la protection sociale

    En ce qui concerne le premier volet des ordonnances, sur l’articulation de la négociation d’entreprise et de branche, la CFDT s’est dite rassurée par le fait que les modalités d’utilisation des CDD, dont les cas de recours seront déterminés par la loi, et des CDI de chantiers soit négociés au niveau de la branche : c’était l’une des revendications de la CFDT que la gestion et la qualité de l’emploi soit un thème nouvellement confié aux branches professionnelles. Véronique Descacq a en revanche évoqué « un gros point d’inquiétude » en matière de protection sociale : « Le gouvernement est tenté de renvoyer à l’entreprise la négociation sur les jours de carence et les dispositions sur le congé maternité. Nous sommes très inquiets sur la démutualisation du financement de la protection sociale », a réagi la secrétaire générale adjointe.

    Le flou perdure également sur le troisième volet des ordonnances, relatif à « la sécurisation des relations de travail ». Alors qu’il paraît désormais acté que le gouvernement ne reviendra pas sur la promesse d’Emmanuel Macron de plafonner les dommages et intérêts aux prud’hommes en cas de licenciement abusif, « le montant sur le plancher et le plafond n’est toujours pas arbitré », a constaté Véronique Descacq. Le gouvernement ne démord pas davantage de son projet de ramener le périmètre d’appréciation du licenciement économique au niveau national. Mais il s’était engagé à prendre des mesures pour éviter qu’une entreprise puisse créer des difficultés économiques. La CFDT a proposé que le rôle des instances représentatives du personnel (IRP) soit renforcé pour veiller à l’absence de manœuvres frauduleuses – mais elle reste pour l’heure sans réponse sur ce point. Quant à la hausse des indemnités de licenciement légales que la CFDT avait réclamées et obtenues, les perspectives gouvernementales – une hausse de 25 % – sont bien trop en-deçà du doublement escompté !

    En attente de garanties sur le renforcement du dialogue social

    Mais le plus grand flou porte sur le deuxième volet, qui devait renforcer le dialogue économique et social et ses acteurs. La CFDT n’a pour l’heure pas obtenu de garantie qu’il n’y aurait pas de négociation sans organisation syndicale et le gouvernement paraît très tenté d’étendre le pouvoir de décision unilatérale de l’employeur dans les petites entreprises. Le cabinet n’a pas davantage assuré que le recours au référendum d’entreprise par l’employeur ne serait possible qu’en cas d’accord minoritaire à au moins 30%. De même, il semble toujours camper sur une instance unique pour toutes les entreprises, à laquelle il ne serait pas possible de déroger, y compris par accord. « À nos yeux, il faut laisser le choix aux négociateurs d'entreprise, a indiqué Véronique Descacq dans une interview à L’ObsSi la fusion est obligatoire, il convient au minimum de laisser la possibilité de maintenir une commission en charge des questions d'hygiène et de sécurité, ainsi que les délégués du personnel qui assument un rôle de représentation de proximité très utile, notamment dans les entreprises qui ont plusieurs sites. »

    À la croisée des chemins

    Inutile de préciser que ces points seront déterminants dans l’appréciation que la CFDT portera sur les ordonnances au global. Reçu à la fin juillet à Matignon, Laurent Berger avait indiqué que le gouvernement était « à la croisée des chemins »: « Soit [c’]est une réforme de simplification pure et simple, un peu bête et méchante [...], soit c'est une réforme qui a vocation à renforcer le dialogue social et à renforcer le syndicalisme dans l'entreprise ». Si « le choix était fait d’une simplification pure et simple sans renforcement du dialogue social, nous nous opposerions à cette réforme », avait prévenu le secrétaire général de la CFDT. Les annonces du 31 août prochain seront donc déterminantes. 

    aseigne@cfdt.fr




  • Dans une interview accordée au site de l'Obs à sa sortie du ministère du Travail le 23 août 2017, Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe de la CFDT expose les premières impressions de la Confédération sur les ordonnances qui doivent réformer le code du travail.

    Vous sortez du ministère du Travail, où vous venez de prendre connaissance d'une partie du projet d'ordonnances. Quel est votre état d'esprit ?

    Nous sommes encore vigilants. En effet, si nous sommes rassurés sur l'utilisation des CDD, dont les motifs resteront fixés pas la loi, et sur le CDI de chantier, qui devra impérativement faire l'objet d'une négociation de branche, d'autres aspects sont encore trop flous.

    A commencer par la vision même du dialogue social, comme enjeu de la performance des entreprises. Il y a une ambiguïté. Est-ce un atout, comme semble le penser la ministre ? Ou une contrainte à alléger ? Certains aspects du texte peuvent nous faire craindre que cette vision rétrograde existe au sein de l'exécutif...

    Jusqu'à présent, le gouvernement a maintenu le flou sur les points les plus sensibles… Pouvez-vous nous en dire davantage sur les indemnités prud'homales ?

    Sur le barème des prud'hommes, on ne connaît pas encore les montants retenus.

    Par ailleurs, la CFDT a demandé une augmentation significative des indemnités légales : 1/2 mois de salaire par année d'ancienneté. Mais il semble que le gouvernement envisage plutôt une augmentation homéopathique, 1/4 de mois [1/5 aujourd'hui, NDLR]. Ce ne serait pas correct, ni même cohérent avec la volonté de réduire les recours en justice : indemniser correctement les salariés licenciés est le plus sûr moyen de limiter les recours judiciaires !

    Et sur la flexibilisation des CDI et CDD ?

    Sur les CDI, en revanche, nous sommes pleinement rassurés. Les motifs de recours resteraient fixés par la loi. La négociation de branche pourrait alors réguler leur utilisation en fonction des réalités, très différentes d'un secteur à l'autre. Ainsi, une branche qui s'engagerait à augmenter la durée moyenne des CDD pourrait supprimer le délai de carence entre deux contrats... Une autre pourrait envisager des contrats supérieurs à 18 mois en contrepartie d'une augmentation de la part des CDI. La CFDT a voulu cette évolution.

    Syndicat réformiste, la CFDT s'est satisfaite de la précédente loi Travail présentée par Myriam El Khomri. Cette fois, quelles sont vos priorités ? Vos lignes rouges ?

    Le gouvernement doit clarifier sa vision du dialogue social. Si c'est un enjeu de la performance des entreprises, le rôle et les moyens des acteurs doivent être renforcés : échanges plus approfondis sur les questions économiques, information plus transparente, recours à l'expertise pour les accompagner, reconnaissance des compétences des élus et mandatés...

    Mais si le gouvernement se contente de répondre aux pseudos angoisses patronales sur "la peur d'embaucher", il aura raté l'occasion de faire évoluer la culture du dialogue social dans notre pays.

    Créer les conditions de la confiance et du travail de qualité entre acteurs économiques et sociaux dans l'entreprise : ce sera cette clé de lecture qui permettra à la CFDT de dire si la réforme est progressiste ou s'il s'agit seulement d'une rengaine ultra libérale.

    Le gouvernement veut favoriser l'accord d'entreprise. En juillet dernier, vous souligniez le risque de décisions unilatérales de l'employeur, faute de réelles négociations. Avez-vous obtenu des garanties sur ce point ?

    Non, pas pour les petites entreprises. Or ne perdons pas de vue que plus de deux tiers des salariés travaillent dans des petites entreprises. Pour la CFDT, ils ne doivent pas avoir de "petits droits".

    Est-il toujours question d'un référendum à l'initiative de l'employeur ?

    Il ne devrait pas intervenir sans qu'il y ait eu au préalable négociation et signature d'un accord. Il s'agirait donc uniquement de donner à l'employeur la possibilité de faire valider par référendum un accord minoritaire. Un droit que les syndicats ont déjà.

    Qu'en est-il de la fusion des instances de représentation du personnel (comité d'entreprise, délégués, CHSCT), pourriez-vous accepter que cette fusion devienne obligatoire ? A partir de quel nombre de salariés dans l'entreprise ?

    La question n'est pas tant celle du nombre que des pratiques de l'entreprise. Il y a des cas où la fusion est réclamée par les élus eux-mêmes ! A nos yeux, il faut laisser le choix aux négociateurs d'entreprise. Si la fusion est obligatoire, il convient au minimum de laisser la possibilité de maintenir une commission en charge des questions d'hygiène et de sécurité, ainsi que les délégués du personnel qui assument un rôle de représentation de proximité très utile, notamment dans les entreprises qui ont plusieurs sites.

    A ce stade, pensez-vous qu'il sera possible d'arriver à un bon texte, ou bien s'agira-t-il seulement pour vous de limiter la casse ? Etes-vous prêts au rapport de force si besoin ?

    Nous ne sommes pas dans la négociation d'un accord. Le gouvernement fera des choix, et il les assumera. A la CFDT, nous soutiendrons tout ce qui renforcera la démocratie sociale. Nous condamnerons tout ce qui négligera la place des salariés, première richesse de l'entreprise. En se donnant les moyens du rapport de force si nécessaire.

    Le tissu social est toujours fragilisé par le chômage, la précarité et les évolutions réglementaires incessantes. Le gouvernement aurait tort de considérer que le ras de bol n'est que fiscal…


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