• Réfugiés : le mouvement syndical condamne l’accord Union européenne-Turquie

    PUBLIÉ LE 30/03/2016 À 08H54par Didier Blain

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    L’accord qui prévoit un échange de réfugiés « un pour un » est « indigne d’une politique européenne », affirme la CFDT. Il démontre l’absence de volonté commune des pays de l’Union de prendre en compte la dimension humanitaire du problème des réfugiés.

    « Avec cet accord, une fois de plus, la question des réfugiés est vue sous l’angle de la menace qu’ils représenteraient alors que ce sont d’abord et avant tout des victimes. » Ce propos d’Yvan Ricordeau, secrétaire national de la CFDT chargé des dossiers européens et internationaux, résume bien l’impasse dans laquelle l’Union européenne s’est placée en validant cet accord avec la Turquie. Une position totalement partagée par Luca Visentini, le secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats pour qui « l’Europe ferme ses portes. Les dirigeants européens ont décidé que les victimes de guerre doivent aller vivre ailleurs. Ils offrent de l’argent à la Turquie et à d’autres afin de garder les réfugiés en dehors de l’UE, sans même insister pour qu’ils vivent dans des conditions décentes ». Mais que contient exactement cet accord ? Il prévoit que la Turquie accueille les réfugiés (ou migrants économiques) qui tentent de se rendre en Grèce puis en Europe du Nord. En échange, les Européens accueilleraient un nombre équivalent – le fameux « un pour un » – de réfugiés présents sur le sol turc dans le cadre d’un mécanisme organisé et dans la limite maximum de 72 000 personnes.

    Europe DemandesAsile

    Contraire aux valeurs européennes

    Immédiatement, des voix, dont celle de l’Onu et du mouvement syndical, se sont élevées pour contester la légalité du procédé et l’abandon du droit d’asile. Mais la Commission européenne se défend en affirmant qu’il suffit que la Grèce reconnaisse la Turquie comme « un pays tiers sûr » pour que la procédure de renvoi, individuelle et non collective, devienne légale et le droit d’asile respecté. Pour Frans Timmermans, le vice-président de la Commission, cette procédure serait même « l’occasion de briser le modèle économique des passeurs ». « Au-delà du débat juridique, légale ou pas, cette procédure utilisant les réfugiés comme monnaie d’échange est indigne d’une politique européenne, condamne fermement Yvan Ricordeau. Elle est même en contradiction avec les valeurs européennes de solidarité et celles du syndicalisme. » Le secrétaire national dénonce ce système d’échange qui selon lui viole les droits internationaux et va à l’encontre des traités européens. Les contreparties exigées par la Turquie, en position de force dans cet accord, portent sur deux points. Le premier est financier : l’Union européenne versera 3 milliards d’euros supplémentaires (elle s'est déjà engagée à verser 3 milliards) à la Turquie pour assurer l’accueil des migrants. L’intégration des trois millions de réfugiés a un coût estimé de 10 milliards de dollars par le gouvernement turc (lire l’encadré ci-dessous). Autre contrepartie : la réouverture du processus d’adhésion à l’Union, bloquée par la querelle autour de Chypre, et la liberté de circulation de ses ressortissants dans l’UE. « On ne peut pas cautionner le chantage d’un pays qui ne respecte pas les droits humains fondamentaux (NDLR : le journal d’opposition Zaman a été récemment mis sous tutelle) et qui a une position ambigüe dans le conflit du Proche-Orient, explique Yvan Ricordeau. Ce que veut imposer la Turquie à l’Union est dangereux. La CFDT et la CES seront très vigilantes sur les garanties données à la Turquie. »

    Gérer les frontières extérieures de l'UE

    Enfin, cet accord pointe les faiblesses et les incohérences de l’UE. « On fait appel aux Nations unies et à l’Otan pour venir en aide à la Grèce et à d’autres pays des Balkans parce que le reste de l’UE n’accepte aucune responsabilité », regrette Luca Visentini. « La stratégie de l’Allemagne qui a négocié seule cet accord démontre à nouveau l’incapacité de l’UE à donner une réponse commune et à gérer correctement ses frontières extérieures, ce qui devrait constituer une priorité », ajoute Yvan Ricordeau.

    dblain@cfdt.fr 

         


    “ Il faut trouver une solution humanitaire ”

    Kemal Özkan, secrétaire général adjoint d’IndustriAll*

         
         

    Le militant syndical turc Kemal Özkan renvoie l’Union européenne (UE) et le gouvernement turc dos à dos sur la question des réfugiés. « La première a un devoir de solidarité envers les réfugiés et le second, une grande responsabilité politique dans la situation de la Syrie. L’accord UE-Turquie ne constitue pas une réponse aux problèmes. Il faut trouver une solution humanitaire », explique Kemal Özkan. Il y a 2,7 millions de réfugiés enregistrés en Turquie, mais « en réalité, ce chiffre doit dépasser les 3 millions. Plus de 54 % des Syriens en Turquie sont des enfants de moins de 18 ans, 10 % des réfugiés vivent dans des camps dans le sud du pays », ajoute-t-il. Selon lui, « pour l’instant, la population turque [80 millions d’habitants] semble accepter l’intégration de ces réfugiés. Mais ces gens sont privés d’avenir. Ils ont de gros besoins en termes de santé et d’éducation. C’est un investissement très lourd. Le gouvernement estime le coût pour l’État à 10 milliards de dollars, sans compter les coûts pour les collectivités locales. Cela nécessite une coopération européenne importante ». L’intégration d’une partie des réfugiés a commencé : 400 000 d’entre eux ont déjà le droit de travailler. « Mais, prévient le syndicaliste,cela ne doit pas servir à tirer les droits sociaux vers le bas comme c’est déjà le cas dans certains secteurs. »Sur l’adhésion de la Turquie à l’UE, Kemal Özkan estime qu’elle devrait être dissociée de celle des réfugiés. « Ce serait une opportunité pour faire progresser la démocratie et les droits syndicaux dans ce pays qui connaît des dérives autoritaires depuis l’arrêt du processus d’intégration, affirme le militant, mais celui-ci ne doit pas se faire sur le dos des réfugiés. » 

    * IndustriAll est la fédération internationale des travailleurs des industries.






  • PUBLIÉ LE 21/03/2016 À 09H16par La Croix

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    Dans un long entretien accordé à La Croix daté du 21 mars 2016, Laurent Berger revienrt sur les avancées obtenues par la CFDT lors de la réécriture du projet de loi El Khomri et plaide pour plus de dialogue social.

    La loi Khomri a été réécrite et vous ne menacez plus de vous mobiliser contre elle. Comment est-on passé d’une loi à combattre à un compromis acceptable ? Iriez-vous jusqu’à dire désormais que c’est une bonne réforme ?

    On est passé d’une loi qu’il fallait réécrire à une loi réécrite. Elle est désormais potentiellement porteuse de progrès, même si elle reste à parfaire.

    À nos yeux cette réforme avait deux priorités : donner plus de marge à la négociation d’entreprise et de branche, et permettre que les droits suivent la personne tout au long de sa carrière indépendamment de son statut, grâce au Compte personnel d’activité (CPA). Mais quand la version initiale de la loi a été connue, il est apparu qu’elle contenait plusieurs mesures inacceptables.

    D’abord, même si le texte donne plus d’importance à la négociation – ce qui nous convient –, il disait aussi que, en l’absence d’accord, le droit qui s’appliquerait serait inférieur au droit actuel, en matière de temps de travail. Cela a disparu de la version réécrite, qui a aussi étoffé le CPA, à notre demande, et a généralisé la garantie jeunes.

    Enfin, s’étaient greffées sur cette réforme plusieurs mesures d’inspiration libérale, qu’on pourrait résumer par « pour embaucher plus il faut pouvoir licencier plus », et qui ne nous convenaient pas. C’était le cas du plafond des indemnités prud’homales, qui a été remplacé par un barème indicatif. Quant aux dispositions sur le licenciement économique, nous espérons qu’elles vont encore pouvoir évoluer dans le débat parlementaire.

    La CFDT a beaucoup pesé dans cette réécriture, à tel point que certains disent que vous êtes le vrai ministre du travail. On sait aussi que votre prédécesseur François Chérèque dirige Terra Nova, think tank proche du PS ; que Jacky Bontems, ancien numéro deux, conseille François Hollande ; qu’Anousheh Karvar, ancienne dirigeante, est directrice de cabinet adjoint de Myriam El Khomri… Cette proximité ne pose-t-elle pas problème ?

    Le parcours public des anciens de la CFDT, cela ne me regarde pas. Vous voudriez que François Chérèque aille garder des chèvres dans le Larzac pour finir sa carrière ? Anousheh Karvar a quitté la CFDT pour préparer l’entrée à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), puis elle a été recrutée là où elle a des compétences.

    Les gens qui ne s’accrochent pas à leur mandat ont quand même le droit d’avoir une carrière après ! S’il n’était pas extrêmement compliqué d’être recruté par une entreprise quand on a fait du syndicalisme, ce serait plus facile, croyez-moi.

    Pour ma part, je ne suis le soutien de personne et je n’ai ma carte dans aucun parti, ce que ne peuvent pas dire tous les dirigeants d’autres confédérations.

    Alors ça m’agace d’être caricaturé en ministre du travail. Ce n’est pas Laurent Berger qui pèse dans le débat, c’est la CFDT. Et si la CFDT pèse, c’est que, contrairement à certaines organisations qui critiquent tout le temps mais ne s’engagent jamais, à la CFDT, on accepte de s’engager. Parfois on dit non, parfois on dit oui.

    Dans le cas du projet de loi El Khomri, on a joué le rapport de force pour se faire entendre. Et quand je vois le collectif Alerte – qui rassemble des associations de lutte contre la pauvreté – dire qu’il y a des bonnes choses dans cette loi, je me dis qu’on n’est pas complètement à côté de la plaque.

    Considérez-vous, cependant, que, comme le disent certains, les partenaires sociaux n’ont pas été consultés sur cette réforme ?

    Honnêtement, sur le cœur de la réforme, à savoir la volonté de renforcer la place de la négociation collective par rapport à la loi, il n’y avait pas de volonté des partenaires sociaux de négocier.

    En revanche, sur les licenciements économiques, il y a eu des ratés. Ce qui est préjudiciable dans la période actuelle. Il y a un ras-le-bol, une exaspération, que je partage. Alors, quand on lance une réforme qui comme la loi El Khomri a de quoi faire réagir, ça peut partir très vite.

    Nous vivons un moment de forte fatigue démocratique. Quand on regarde les ressorts du vote extrême, on voit que les gens ont l’impression qu’on les laisse tomber. Plus que jamais, on a besoin d’espoir, d’explication. Et de dialogue social.

    En France, on a tendance à avoir un fonctionnement jacobin, à décider d’en haut sans faire confiance aux acteurs qui sont au plus près des réalités. Et il y a une terrible habitude des postures : il est plus facile d’être « contre » que d’être « pour ». Notre pays a besoin d’apprendre la culture du dialogue.

    Tout le monde n’est pas pour autant convaincu de la vertu du dialogue social pour réformer. À droite, plusieurs ténors semblent tentés par les ordonnances pour réformer dans la foulée de l’élection présidentielle de l’an prochain…

    Les candidats de droite sont en campagne pour la primaire. Ils ont besoin de dire qu’ils vont agir vite et seul. Je ne suis pas certain qu’ils le feront s’ils sont élus. Mais, au cas où, je dis qu’il faut faire attention. On est dans une société qui ne se sent pas très bien, où la confiance envers les dirigeants se réduit.

    Il y a un besoin énorme de délibération collective, d’exercice de la démocratie, comme dit Pierre Rosanvallon. Il n’y a pas d’autre voie pour réformer notre pays que le dialogue. On doit se parler, partager des constats, des analyses et essayer de trouver des solutions. Tous ceux qui voudraient faire autrement se trompent.

    Moi, en tout cas, je ne veux pas d’une société autoritaire ou en dehors du dirigeant et du peuple, il n’y a rien. La société doit se construire avec ses acteurs, ses corps intermédiaires. Et dans le monde du travail, les acteurs, ce sont les partenaires sociaux.

    Sur le fond, pour recréer de l’emploi, pensez-vous que notre marché du travail a besoin de flexibilité ?

    À la CFDT, nous n’avons jamais refusé de considérer le besoin de souplesse des entreprises. En 2008 et en 2013, nous avons signé des accords qui créaient des assouplissements pour permettre aux entreprises d’être compétitives. Mais, pour nous, ça ne doit pas se faire au détriment de la protection du salarié.

    Par exemple, je comprends que les entreprises ont besoin de prévisibilité. C’est pour ça que nous ne sommes pas opposés à un barème d’indemnités prud’homales indicatif. Mais nous sommes contre un plafond impératif car, quand il y a eu licenciement abusif, la réparation doit être à la hauteur du préjudice subit par le salarié.

    Il faut un cadre général pour tous, mais les entreprises ont besoin de trouver des solutions adaptées à leurs problèmes. Pour moi, le besoin de souplesse doit se faire par le dialogue social, car c’est le dialogue social qui permet de garantir que ces souplesses ne se feront pas au détriment des salariés. Il faut du dialogue social dans les branches pour éviter que les entreprises d’un même secteur ne se fassent concurrence par le social. Et il en faut dans les entreprises.

    À Toyota, où j’étais mardi, les partenaires sociaux ont négocié un accord sur l’organisation du travail, qui concerne aussi le travail le week-end, mais, en face, ils ont obtenu des contreparties, en termes d’emplois, de rémunération, de repos. C’est ça qu’il faut faire.

    Pensez-vous que pour lutter contre la dualité du marché du travail, il faut rendre le CDI plus souple ?

    Non, la flexibilité ne doit pas se faire sur le contrat de travail. Le CDI doit rester la forme normale du contrat. Et ce n’est pas en diminuant les droits des gens qui sont en CDI qu’on améliorera ceux des personnes qui sont en contrat précaire. Au contraire, il faut construire des passerelles. C’est ce que doit faire le CPA en permettant aux gens de passer d’une situation à une autre sans perdre des droits.

    De même, ce n’est pas en s’attaquant au CDI qu’on empêchera les employeurs de recourir aux travailleurs indépendants. Mais il faut mieux protéger ces travailleurs indépendants, avec une couverture sociale adaptée et en veillant à ce que le donneur d’ordre n’impose des conditions abusives. Avec notre fédération Conseil communication et culture, on est en train de travailler à la création d’une plate-forme qui leur permettra à la fois d’être défendus et d’avoir accès à des services.

    Au final, que faudrait-il faire qui n’a pas déjà été essayé pour recréer de l’emploi ? N’est-on pas face à un phénomène de chômage de masse durable ?

    Je ne crois pas qu’on soit condamné à un marché du travail low cost. Ni à la fin du salariat. Mais je ne crois pas non plus à la solution miracle, celle qui créerait des millions d’emplois. J’en ai assez qu’on me cite l’Espagne pour prouver qu’une réforme du marché du travail est la solution. Je rappelle que l’Espagne a un taux de chômage de 20 %.

    La vraie question, c’est quel type d’économie on veut. Je ne veux pas entrer dans le débat sur la politique de l’offre et la politique de la demande, je pense qu’il faut les deux. Je parle d’un économique qui conjugue performance économique et performance sociale.

    L’entreprise doit mettre la qualité du travail et des emplois au cœur de sa stratégie. Il faut également investir dans les besoins de notre société. Prenez les services à la personne. On sait qu’énormément de personnes âgées ont besoin d’aide. Or, on supprime des emplois à tour de bras en ce moment dans ce secteur et on n’investit pas dans la qualité de l’emploi.

    Même chose avec l’isolation thermique des bâtiments où l’on sait que le besoin est énorme. Pourquoi n’investit-on pas dans ces secteurs ? Ou encore avec le numérique, on sait que d’ici vingt ans, la moitié des métiers seront nouveaux. Il faut dès maintenant investir massivement dans la formation, et notamment celle des jeunes et des demandeurs d’emploi. On est face à un manque criant d’anticipation.




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